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L’APPEL AU SOLDAT

exprimer la note de ces humbles lieux découronnés. Supposez un Anglais sensible aux nuances morales un peu froides (Walter Pater n’aimait-il pas ardemment nos provinces ?) et qui vienne pour quelques semaines habiter une de ces rues désertes. Il apporte avec lui une caisse de vieux livres français : leur verve narquoise le contente profondément sous ce ciel et au milieu des témoignages d’une politesse maligne. Il sent que ce n’est pas ici l’Allemagne rhénane, mais la France, ni bourguignonne, ni provençale : lorraine. Et s’il sait faire parler l’architecture, s’il possède une instruction suffisante pour dialoguer avec l’histoire, il évoquera les dignes exemples d’une organisation républicaine dans cette vieille municipalité ecclésiastique, tout en examinant la cathédrale des évêques de Toul, les remparts de Vauban, les formidables travaux des polytechniciens sur tous les monts.

D’ailleurs, qu’au milieu de tous ces canons installés par les bureaux parisiens, la petite ville, dépossédée du soin de veiller à ses destinées, sommeille dans une sorte de mort heureuse, et qu’elle ne comprenne plus sa devise Pia, pura, fidelis, peu importe ! Ce qui fait la constance de son caractère historique, c’est, plutôt que des mœurs et un esprit traditionnel, d’être un lieu où, de toute éternité, un même phénomène s’écoule. Il faut considérer cette vallée mosellane, de Trêves à Épinal, comme une rue des candidats à la nationalité française. À tous les siècles de l’histoire, des peuplades débusquent par cette voie, se précipitant sur la France comme la pauvreté sur le monde ; elles recouvrent les vieilles populations, puis leur flot, déposant sur le tout un humus, va