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L’APPEL AU SOLDAT

bassesse, il se surprenait à bâiller. Alors, naturellement doué pour l’analyse, il pensait : « Pourquoi moi, qui suis impartial et même bienveillant pour cet artiste que je viens étudier de si loin, ne puis-je le trouver beau et parfait ? Parce qu’il ne satisfait aucun des besoins que j’éprouvais avant de le connaître, et il ne sait pas m’en créer qu’il contente. Mais moi-même, à quelle nécessité est-ce que je réponds ? Et que servira-t-il de me sculpter beau et parfait, si dans l’Univers rien ni personne ne m’attendent pour que je me prouve comme tel ! » Arrivé à ce point, il se serait mis volontiers à parcourir les terres et les mers pour rencontrer l’occasion qui fait les héros. Le monde moderne, que ne sillonnent plus les Chevaliers errants, connaît « celui qui veut agir ». Avec toute la noblesse qu’on voudra, Sturel se créait un état d’âme d’aventurier.

Il alla dans la Haute-Italie et dans la région des Lacs mettre en ordre ses sensations. Les prairies lombardes, sillonnées de canaux, fertiles en arbres frissonnants, nous présentent ces paysages que les maîtres peignirent dans leurs fonds de tableaux où l’amateur mal renseigné les prendrait pour une échappée sur le rêve. Mais les agitations de Sturel, qui au Lido n’avait pas entendu Gœthe, l’empêchèrent encore de comprendre cette féconde leçon de réalisme : il méconnut que tout être vivant naît d’une race, d’un sol, d’une atmosphère, et que le génie ne se manifeste tel qu’autant qu’il se relie étroitement à sa terre et à ses morts.

Dès avril, la lumière, les fleurs, le bruissement des barques sur l’eau miroitante, tous ces espaces qui nous serrent le cœur, tous ces silences qui crient