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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

des traits nombreux de notre nationalité et, en vérité, les éléments d’une conscience lorraine. Mais à cette humble civilisation s’est superposée une civilisation parisienne. Comment agir sur l’une et sur l’autre ? Comment trouver le sentiment ou les intérêts communs à une population ainsi dissociée ?

— Patience ! répliquait Saint-Phlin. Nous ne pouvons pas tout examiner à la fois. Jusqu’à ce point de notre itinéraire, nous avons constaté qu’à travers les siècles, en dépit des vicissitudes politiques et économiques, une population racinée dans un sol maintient ses façons de sentir. Quant au second problème que tu poses, dès notre prochaine étape nous allons pouvoir l’aborder. Oui, demain, tu verras, je crois, les moyens d’accorder dans un même intérêt, ou plus exactement dans une même émotion qui les suscitera, l’une et l’autre, la conscience parisienne et la conscience lorraine, c’est-à-dire sur ce territoire la conscience nationale.

Ils se turent. Leurs yeux que ne gênait plus le soleil se fortifiaient à réfléchir les profondes couleurs du dernier crépuscule. L’intérêt puissant des vignobles, des parcelles de terre, de la grande fabrique, de la rivière envahis par la nuit, ramenait leurs imaginations vers Racadot, indigne délégué d’un si beau paysage. Le long des siècles, comme la Moselle s’écoule, tout Custines passe et se transforme continuellement ; le brutal Racadot un instant est apparu sur ce fleuve des phénomènes, comme l’écaille d’un poisson qui saisit une mouche brille une seconde au ras de l’eau ; néanmoins dans cet animal éphémère retentissaient les âges antérieurs. Cet horizon où s’opère la brutale transformation de la vie rurale en