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L’APPEL AU SOLDAT

vie industrielle, voilà sa première leçon de choses. Pendant son enfance, pendant toutes ses vacances, il vit uniquement des faibles, impuissants à se défendre et des bêtes de proie qui écrasaient tout autour d’elles. Cette dure discipline, il ne la recevait pas seulement du dehors ; il la portait héréditairement en lui : en 1782, son grand-père était né serf à Custines, d’une suite indéfinie d’esclaves ruraux. Cela rend un Racadot intelligible. Sur les bords de la Moselle, avec ses petites ressources, haussé de la catégorie des serfs dans la bourgeoisie exploitante, il aurait été un des plus durs prêteurs qui rançonnent ce pays À Paris, dans un milieu où son tempérament et son outillage n’étaient pas adaptés, il a satisfait avec la plus mauvaise entente du réel ses appétits d’agrandissement. Il meurt victime d’un romanesque grossier qui s’est surajouté à sa nature…

— … Par le lycée, interrompit Sturel, par l’action de Bouteiller qui nous orientait vers Paris et nous donnait le goût de jouer un rôle…

— Et aussi au tombeau de Napoléon, répliqua Saint-Phlin, qui craignit aussitôt d’avoir offensé son ami.

À l’auberge, quand ils payèrent, leur hôte parlait du bon air et de la qualité de la route « où l’on peut rouler sans y voir ». Saint-Phlin l’entama tout droit sur Honoré Racadot. Il devint subitement monosyllabique.

— Nous vous questionnons, dit Sturel, parce qu’on parlait beaucoup de lui à Paris.

— On a mis trop de choses dans les journaux, dit l’homme, avec son portrait qu’on est venu vendre jusqu’ici. Ça n’a pas été approuvé. Les Parisiens auraient bien pu nous laisser tranquilles.