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L’APPEL AU SOLDAT

perdait le caractère morne des constructions d’érudits, parce qu’ils le rattachaient à une impression vivante. Tout en causant, ils se livraient, sans l’analyser, à l’atmosphère de cette Esplanade qui occupe un angle des remparts et domine la Moselle avec l’horizon des forts. Cette petite vue modeste et la biographie d’une ville pourtant de troisième ordre éveillaient dans leurs âmes préparées un tel sens de tragique qu’ils restèrent plusieurs heures à laisser s’agiter en eux des pensées d’amour et de respect pour leur patrie. Sans doute, avant 1870, cette étroite terrasse plantée ne leur aurait proposé qu’un agréable coup d’œil sur un paysage de rivière ; maintenait elle nourrissait de longues rêveries sur une terre esclave.

Les deux statues de l’Esplanade s’imposaient à leur attention : le maréchal Ney, qui fait face à la ville et qui naturellement date du temps français, et puis, tourné vers l’horizon, leur grand empereur Guillaume. « Errichtett von seinem dankbaren Volke : dressé par son peuple reconnaissant, » dit le piédestal de ce dernier. Qu’est-ce que son geste de main ? Un remerciement au peuple de Lorraine dont il accepte l’hommage ? Ou bien indique-t-il la frontière française, pour dire à son armée : « Veillez. » Affirme-t-il du doigt : « Toutes ces terres sont de mon empire » ? Telle quelle, cette pesante statue infiniment plus lourde, plus grande que le Ney à qui elle tourne le dos, détruit le caractère, la douce qualité de cette campagne mosellane. À tout Français qui passe elle met une épée dans la main : elle commande ce même geste que donnerait à de jeunes officiers le récit des hauts faits d’un Ney ou d’un Fabert. Le malheur vaut comme la gloire pour réveiller l’énergie.