Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
L’APPEL AU SOLDAT

draient seulement la quarantaine, et leur vie n’aura pas eu un sens si on refuse de le chercher dans l’éternité de la patrie française. Leur mort fut impuissante à couvrir le territoire, mais elle permet à un Sturel et à un Saint-Phlin de se reporter sans honte complète à cette année funeste. C’est une fin suffisante du sacrifice qu’ils consentirent en hâtant la disparition inéluctable de leur chétive personnalité.

Les fifres et les tambours prussiens qui, sans trêve, d’un champ de manœuvres voisin retentissent sur les tombes de Chambière ne détournent pas les deux visiteurs de leur pieuse méditation, et avec une tendresse égale à l’orgueil de dénombrer sur l’Arc de Triomphe les généraux de la Grande Armée, ils épèlent la nomenclature des morts, les inscriptions des bannières délavées et des couronnes épandues.

Mais voici à trois mètres du monument français, dans cet exaltant cimetière, ou la douleur, la fraternité, l’humiliation et l’orgueil stagnent comme des fièvres, la pierre commémorative qu’eux aussi les Allemands consacrent à leurs morts. Elle jette ce cri insultant : « Dieu était avec nous ! » — Offense qui tend à annuler le sacrifice des jeunes vaincus à qui les femmes de Metz ont fermé les yeux !

Il ne dépend pas du grand état-major allemand de décider sans appel que nos soldats luttaient contre Dieu ! En vérité, la France a contribué pour une part trop importante à constituer la civilisation ; elle rend trop de services à la haute conception du monde, à l’élargissement et à la précision de l’idéal, — dans un autre langage : à l’idée de Dieu — pour que tout esprit ne tienne pas comme une basse imagination de caporal de se représenter que Dieu — c’est-à-dire