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L’APPEL AU SOLDAT

vélodrome, jusqu’à Thionville, guerrière encore et corsetée si étroitement dans sa ceinture de murailles que d’un même point de sa petite place centrale on voit ses trois portes militaires et qu’un seul clairon est facilement entendu de tous les habitants dressés à en comprendre les sonneries.

La pluie qui pour le trajet s’était interrompue tombait par intervalles. Dans cette soirée humide, Sturel et Saint-Phlin ranimèrent leur tristesse à comprendre pleinement ce qu’est une vaincue, quand sur la plaque d’une rue ils constatèrent la condescendance du vainqueur qui de la « rue de Jemmapes » se contente de faire « die Jemmapenstrasse ». Cela rappelle ce qu’on sait de l’ironie empreinte sur les figures des Allemands quand à Sedan ils présentaient les armes au troupeau de nos soldats désarmés. Mais à Metz ne lit-on pas encore sur le socle de Fabert : « Si le roi m’avait confié une ville, plutôt que de la rendre, je boucherais la brèche avec moi, ma femme et mes enfants. »

Cette petite Thionville, aussi dénuée de ressources qu’une guérite de factionnaire, les retenait parce que sous l’enduit allemand ils distinguaient partout les couleurs françaises.

Il est fâcheux que les romantiques qui nous dirent avec des expressions saisissantes le grand secret de mélancolie des bois, de la mer et des prairies du centre aient ignoré les petites villes militaires de l’Est et leur atmosphère propre à former les âmes : le son du clairon, tout le jour, le drapeau, le général, les promenades sur le rempart et chaque soir soudain le fracas militaire de la retraite éclatant en apothéose. Ah ! les magnifiques tambours se déchaî-