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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

Tous furent bien étonnés, mais ils se réjouirent de voir le fonctionnaire contredit[1].

Après le souper, l’hôtelier jeune, honnête, très sympathique, se tint debout en face des deux amis qui buvaient leur café ;

— Messieurs, je suis de Sierck ; j’étais allé à Paris ; eh bien ! on n’a pas d’égards : j’étais mal vu, traité en étranger. Oui, en étranger et pis ! Mon patron, un pâtissier-traiteur, chez qui j’étais saucier, après trois ans qu’il n’avait eu qu’à se louer de moi, m’a dit : « Je ne vous aurais pas pris si je vous avais su Prussien. »

Le pauvre garçon à qui l’on reprochait d’être Lorrain en France revenait être Français en Elsass-Lothringen.

Ainsi l’hostilité d’une partie de la population française et la mauvaise volonté du gouvernement français s’unissent pour rejeter les Lorrains et les Alsaciens vers l’Allemagne. Dureté incroyable de notre conduite ! Ils devaient être un gage aux mains de l’ennemi, et, sitôt reconstituée, la France en armes allait les réclamer. Trahison ! Nous les avons livrés et nous ne voulons plus les connaître.

Quand même ! il n’appartient pas à l’injustice de la mère-patrie, ni à une minorité de vainqueurs, ni à des événements désastreux de changer l’inconscient

  1. Sturel avait raison. Mais le gouvernement ne s’est jamais préoccupé de l’application de cette loi sur laquelle on fait le plus complet silence. On l’ignore aux pays annexés. Les jeunes réfractaires qui, par amour pour notre pays, passent la frontière et viennent dans nos bureaux de recrutement, n’apportent point les papiers exigés et l’on continue à les expédier sur la Légion étrangère. On a relevé une proportion formidable d’Alsaciens-Lorrains parmi les morts de Madagascar.