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L’APPEL AU SOLDAT

d’une population. Ces fils, dont se détourne la France, sont forcés, par leur structure mentale d’associer les idées à la française et de préférer la civilisation qui, pendant des siècles, leur fournit leurs conditions de vie. Sous cette Germanie arrogante qui frappe sèchement de ses talons les étroits trottoirs des vieilles villes militaires, une France nombreuse et saine encore fait le fonds de ce pays. Comme, à certains tournants morts, la nappe d’eau pure de la Moselle sous la croûte des herbes parasites, elle transparaît cette France, en dépit des plantes germaines, jusqu’alors sans racines profondes, dans la douceur du regard des femmes, seul aveu de leur sensibilité souffrante, deuil honorable de celles qui vivent avec des frères, des époux, des pères vaincus. Elle s’affirme dans la fierté du regard des jeunes gens, quand ils ont entendu la langue de leur pays et que leur œil s’écrie : « Le papier des diplomates est nul ! Moi aussi, j’appartiens à la France ! » Elle se proclame dans la fraternité immédiate et sans phrases avec des hommes de toute classe et de toute condition, quand leur main qui serre la nôtre nous déclare : « Jamais il n’arrivera que nous opposions nos fusils, et sous une même tente, un jour, nous partagerons le même péril pour la France ! »

Contre cette fidélité à l’idéal, le grand moyen de l’Empire, c’est de transformer la cérébralité et d’imposer aux jeunes êtres ce qui contient toute civilisation et toute sensibilité : une langue nouvelle, l’allemande. En les forçant à déserter la syntaxe, le vocabulaire, ils espèrent les contraindre à renier leurs idées, leur âme propre.

Voilà qui ne se prête pas à une représentation