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L’APPEL AU SOLDAT

les images de la Douleur et de la Mort sur ces pauvres tombes ?

Sturel le reconnut.

— Et pourtant, continuait son ami, on trouve partout des cimetières, et sauf en Provence, il n’y a nulle part, de ce côté des Alpes, un monument qui vaille celui-ci.

— Si je voyageais seul, Saint-Phlin, je visiterais tous les cimetières sur ma route. Cette pierre romaine a quelque, chose de raisonnable sans mystère, d’honorable sans élan, comme la manifestation d’un commerçant enrichi. C’est là-haut que je respire, auprès de ces images d’anéantissement que toi, catholique, tu devrais rechercher.

— Erreur ! Sturel ! Le Dies iræ exprime une très petite part de notre doctrine. Le catholicisme est avant tout un faiseur d’ordre, voilà pourquoi j’apprécie les belles pierres sculptées où se témoigne la bonne et solide nature des Secundini. Une doctrine, supérieure à tous les établissements, m’invite à voir dans les choses bien moins des suites du passé que des promesses pour l’avenir. C’est peut-être le secret de nos divergences : tu trouves ta poésie à te considérer comme un prolongement et jamais comme un point de départ. Dès le début de notre voyage j’ai vu ton imagination se fixer chez les morts. L’idée que le sol où tu naquis prendrait une figure inconnue de tes ancêtres te choque gravement. Pour moi, sachant que rien n’arrive sans la volonté de la Providence, je suis un optimiste décidé, et certain de ne pas collaborer à une œuvre qui manque de sens, je porte toujours mes regards sur les étapes à venir. Je n’ai jamais senti dans les cimetières cette odeur du néant