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L’APPEL AU SOLDAT

volupté, dans l’effort de tenir à la fois sous ma pensée une quantité de plus en plus considérable de faits.

« Je ferais mauvaise figure chez nous à un examen universitaire ; ma mémoire n’est guère chargée, je ne sais pas grand’chose ; mais eux, les professeurs de l’Université qui me feraient quinaud, savent-ils rattacher une question à une autre et « conditionner » les phénomènes ? C’est à quoi je me dresse ici.

« Après mes six mois d’initiation générale, j’ai suivi, à Berlin, d’où je t’écris, les cours durant une année, : non pas pour emmagasiner de l’histoire, du droit, de l’économie politique, mais pour me former à la pratique de la méthode d’investigation en histoire. C’est très hygiénique. J’apprends par quelle discipline on découvre, on purifie, on met en œuvre les documents. Ce sont des études patientes, dures et fortes. Elles me dégoûtent des ornements littéraires, des affirmations oratoires et de tous ces matériaux qui pourriront. Je suis amoureux de la sécheresse. Entends-moi bien, Sturel, ce que j’apprécie, ce n’est pas le résidu de vérité qui nous reste dans la main au terme de nos minutieuses opérations de critique, c’est la méthode elle-même, car elle me donne l’habitude d’éliminer de mes jugements mille éléments puérils d’erreur.

« Nous avons à la Sorbonne des gens d’un talent énorme qui composent une leçon comme pas un maître ne ferait à Berlin. Rien de plus éloigné de la manière scientifique allemande que cette façon autoritaire et éloquente de présenter des notions. Les maîtres ici travaillent devant nous, ils attaquent directement les sources, ils nous mènent sur le tas,