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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

dates, des souvenirs intimes, fait reconnaître son fils ! Mais la situation est poétique. Dans un tel dialogue, cette jeune femme certainement en appela aux sentiments les plus délicats. L’état d’esprit que révèle dans cette légende le bon peuple mosellan qui la créa rend compte de la légitimité du système féodal. Cette forme correspondait vraiment à la mentalité des individus qui amnistièrent Geneviève et Siegfried pour accabler Golo. Ils n’éprouvaient aucune hésitation à suppléer nos formes habituelles de justice par le bon plaisir du seigneur, maître et protecteur. L’idée latine de la loi n’avait donc rien laissé dans cette population ? Les abus du pouvoir n’indisposent pas l’imagination populaire contre Pfalzel : c’est l’intendant, le collecteur d’impôts, qui porte toutes les rancunes. On se réjouit quand, par une saute brusque du comte, Golo est écartelé. Enfin, il faut noter une confiance touchante dans la nature ; si dure qu’elle soit, elle est le refuge : une grotte abrite l’innocente, une biche nourrit l’enfant.

Sturel et Saint-Phlin étaient heureux de retrouver dans cette belle et pleine légende des façons délicates de comprendre la vie, qu’à l’usage ils avaient dû reléguer, anéantir, mais qu’ils tenaient de leurs ancêtres ; et ils auraient voulu, sur la tombe de Geneviève à Niedermendig, aller rêver à la formation historique d’une sensibilité qui les desservait à Paris.

Ils arrivèrent à Neumagen sous les rayons du soleil ; la brume blanche et épaisse qui tout à l’heure emplissait la vallée se resserrait en rosée tremblante sur la pointe des herbes. Ici s’élevait un magnifique château de Constantin.

— En se promenant le long de cette Moselle par une