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L’APPEL AU SOLDAT

Sturel, le lendemain samedi, arriva dès dix heures du matin à Saint-James, avec des dispositions d’autant plus affectueuses qu’il souffrait de peiner Thérèse par une nouvelle absence.

Elle le mena par l’incomparable avenue Richard-Wallace, dont la terre est noire et tout ombragée de marronniers centenaires, jusqu’aux trois bancs toujours libres sur la mare Saint-James, où des branches tombant de haut voilent à demi au promeneur le soleil et les eaux, et puis sous la sapinière qu’immortalise Puvis de Chavannes dans son Bois sacré.

Au Jardin d’acclimatation, désert les matins de semaine, ils visitèrent l’Hamadryade, un tout gros garçon de singe, qui porte avec inconvenance le nom d’une nymphe effarouchée. Sous un clair soleil, qui dissipe les angoisses, les huileuses otaries n’atteignent pas à l’épouvante tragique de leurs longs cris et de leurs « sauts dans la mer » au crépuscule de décembre. Thérèse de Nelles appréciait particulièrement les colombes poignardées et les traitait de petites amies malheureuses que les hommes, bien trop grossiers, ne peuvent pas plus comprendre que ne feraient des hamadryades. Sturel pensait que de toutes les déceptions de l’amour, ces deux animaux connaîtraient bien la pire, s’ils cherchaient à s’expliquer l’un à l’autre. Mais il se gardait d’en rien dire, sachant qu’un amant ne doit pas être vulgaire et qu’un peu de préciosité embellit une jeune femme.

À la fin de la journée, ils longèrent la berge de la Seine. L’île de Puteaux dispose d’admirables masses de grands arbres, tragiquement courbés sur le fleuve qui fuit. Ils lurent, à cinquante mètres en deçà du pont de Neuilly, l’inscription commémorative