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L’APPEL AU SOLDAT

« Notre dîner se prolongea indéfiniment, car il ne fallait pas songer, dans la tempête qui sévissait dehors, à surprendre les sorciers réunis sur la bruyère où ils traînent les possédés. Le seigneur Uriel, la sorcière, le bouc, la vieille Baulo sur sa truie, Lilith et les autres, n’auraient pas manqué de nous précipiter dans les profondes vallées que surplombe le Brocken. Nous nous attachions à la table pour nous conformer aux conseils de Méphistophélès : « Accroche-toi aux aspérités de la roche, sinon l’orage te renversera dans le fond de ces abîmes. Un brouillard obscurcit la nuit. Entends ces craquements dans les bois ! Les hiboux s’envolent épouvantés. Entends éclater les colonnes des palais toujours verts, et les gémissements, le fracas des rameaux, le puissant murmure des tiges, les cris et les plaintes des racines ! Dans leur chute effroyable, confuse, les arbres se brisent les uns sur les autres, et à travers les gouffres jonchés de débris sifflent et mugissent les airs. Entends-tu ces voix sur la hauteur, au loin et dans le voisinage ? Oui, tout le long de la montagne, un chant magique roule avec fureur. »

« Excuse ces citations. Puisque je veux l’expliquer à quelles forces de la pensée allemande j’ai réussi à m’arracher, c’est bien le moins que je ne dissimule pas ses beautés dont je suis tout plein. Le Faust de Gœthe est vraiment une conception solide, enracinée dans la réalité, libre jusqu’à l’audace, disciplinée jusqu’au traditionalisme, et qui restera dans la construction humaine comme un témoin de la conscience allemande. Tout cet acte fameux de Walpurgis, où Gœthe a utilisé les vieilles traditions de la sorcellerie