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L’APPEL AU SOLDAT

nuit sur le quai où les fidèles trébuchent : le Général ne s’est point dérangé, mais seulement son secrétaire, qui guide vers des voitures.

Beaucoup en sont déconcertés, non pas froissés. — sans doute, ce devait être ainsi, — mais désorientés dans leurs gestes, parce qu’ils pensaient tout de suite l’acclamer, se faire reconnaître de lui, recevoir ses félicitations, conquérir ses préférences, lui développer leurs encouragements patriotiques. En s’abstenant, le Général montre, une fois de plus, un sens très juste de sa mise en valeur : ce brouillard du matin, cette nuit d’insomnie et les incommodités d’une traversée conviennent mal pour recevoir des recrues, qu’il s’agit de plier tout de suite à la discipline du parti.

À midi seulement, quand tous, bien reposés, sont réunis dans la salle à manger de la Pomme d’Or, il descend de ce même pas assuré et confiant qu’on lui vit ministre, dans son cabinet de la Guerre, et puis, triomphateur, dans le salon des vingt-cinq couverts chez Durand. Et les nouveaux venus, spontanément, comprennent qu’il n’est pas leur ami, mais leur chef.

L’aimable Français ! Tous ses mouvements, son regard, révèlent de la résolution et, en même temps, le plaisir de séduire. Il éprouve à émouvoir une foule ou le plus simple des hommes le contentement, l’allégresse de celui qui emploie ses dons naturels. Plus encore que d’un chef sur ses lieutenants, son prestige paraît d’un type national auquel nul de nous, à quelque classe qu’il appartienne, ne peut demeurer indifférent. Dans l’ancienne société, cette manière de Boulanger s’appelait « courtoisie », et