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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

Erfurt, Gotha, Cassel, Gœttingue, Hanovre, Brunswick et Stendhal. À chaque instant des voiles venaient s’interposer. Nous assistions aux échanges de la terre et du ciel, quand les vapeurs montent et descendent. Ces grands mouvements révèlent le sublime. Un tel spectacle et leurs « hoch ! » incessants en l’honneur de leur patrie me firent sortir de mon calme habituel. Je m’écriai : « Voilà votre domaine, mais ailleurs est le domaine de la France. Je bois à la France ! C’est aussi une puissance du monde ! »

L’un d’eux approuvé par tous répondit : « Nous ne sommes pas des querelleurs. Paris est une belle ville : nous voulons boire à Paris ! »

Par là j’ai vu qu’ils ignoraient la vraie France, le fait historique et la réalité pleine de ressource qu’est notre patrie, où Paris ne représente qu’un précieux joyau. Pourtant, afin de reconnaître leur courtoisie, je levai mon verre au génie de Gœthe, « qui comprit la France et que la France comprend ».

« On crut voir que le vent redoublait dans cette minute pour emporter au loin nos paroles et les libations qu’à la mode antique nous fîmes. Toute sa violence ne pouvait rien sur nos consciences, d’où sortaient directement les paroles peut-être un peu jeunes, mais nécessaires, que nous prononcions.

« Avant de partir, chacun de nous, à tour de rôle, se plaça dans l’endroit qu’avait marqué le guide, et successivement nous vîmes notre reflet informe et démesuré s’étendre dans les cieux. Ceci, je l’avoue, est tout à fait frivole : je prolongeai plus que de raison le plaisir d’imposer des traits français au spectre du Brocken.

« Nous descendîmes. À trente mètres au-dessous