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L’APPEL AU SOLDAT

Notre pensée nationale s’élève et s’abaisse par ondes comme la mer. Elle est, en 1887, à son plus haut niveau chez tous les Français. Sturel au Lido, Rœmerspacher sur le Brocken, tendent à étouffer l’anarchie mentale, dite humanisme, que mit en eux l’Université : ils filtrent l’amas encombrant déposé dans leurs âmes ; ils s’épurent pour retrouver la discipline de leur race et se ranger à la suite de leurs pères. On croit expliquer quelque chose en disant que, chez deux jeunes gens placés dans des milieux italiens et allemands, la nationalité devait particulièrement réagir ; mais à cette date c’est toute la France, dans toutes ses cellules, qui désire repousser des éléments venus de ses dehors.

Une parole extraordinaire venait de retentir par tout le pays. Sur ce territoire habité par des fonctionnaires qui pensent à leur carrière, par des administrés qui rêvent les bains de mer l’été, le baccalauréat pour le fils, la dot pour la fille, et par des comités politiques qui, à défaut d’un principe d’unité nationale, proposent des formules de faction, un mot tomba de la tribune parlementaire et l’on vit se tourner vers le Palais-Bourbon des milliers de visages. C’est ainsi qu’une pharmacie paisible, où l’on vient d’amener un blessé de la rue parisienne, a soudain contre ses vitres une foule de faces qui s’écrasent. Cette déclaration ne fit point un petit rond dans un des innombrables groupes d’intérêts épars sur le territoire. On ne vit pas les polytechniciens s’émouvoir, ou les universitaires, ou les chambres de commerce, ou les agriculteurs, ou les faubourgs ouvriers. Ce fut un frisson sur toute la patrie et dans ce fond moral, vraiment notre substance française, qui nous rend si