Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/510

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
504
L’APPEL AU SOLDAT

précisait dans son esprit. Sous l’influence de son isolement moral, peut-être s’était-il pris d’une sorte d’amour mystique pour ces masses anonymes à qui il devait ses immenses triomphes et qui jamais ne l’avaient trahi. Il cita Pierre Denis, devenu son confident. Ce nom suffit à mettre en gaieté intérieure Renaudin, qui commença de regretter qu’il n’y eût pas quelqu’un du boulevard pour s’amuser avec lui du Général.

C’est que Renaudin, qui se croit l’esprit vif et qui a déserté l’ordre naturel de sa pensée lorraine, dès le lycée de Nancy, pour prendre un brillant de voyou parisien, est incapable de toucher la richesse vraie de son chef. L’idée fondamentale de Boulanger fut, dès son premier jour, de mettre l’autorité de la patrie au-dessus de tous les partis. Cette idée, il l’entendit dans des sens très divers. Ministre de la Guerre, c’était la revanche ; chef d’un parti politique, la révision de la Constitution ; aujourd’hui, on le prendrait pour un chef démocratique poursuivant simplement le bien-être des déshérités, la justice contre les exploiteurs. Il n’y a pas contradiction, ni même évolution : toutes ces pensées existent à la fois dans sa conscience, mais chacune le domine selon les circonstances.

Si vraie que fût son émotion, il donnait, comme de coutume, un ton plutôt vulgaire à des sentiments plutôt nobles :

— Laissez des politiciens se croyant bien habiles tirer sur la ficelle jusqu’à la casser, et croyez au bon sens, à l’esprit de justice du peuple, qui se souviendra un jour que je souffre pour lui et par ses pires ennemis. Ces sentiments couvent sous la cendre.