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L’APPEL AU SOLDAT

netteté, la cordialité du Français, mais il employait à la tribune du Palais-Bourbon des expressions vraiment françaises, en place de ce jargon vague, que chacun écoute, recueille avec admiration peut-être, sans que personne touche une réalité. Il ne déclara pas : « Dans une démocratie, tous les éléments sont coordonnés et solidaires », ou bien encore : « L’armée saura s’inspirer des grands principes qui sont communs à toute la nation. » Il dit que la gamelle — humble nourriture, la vie du soldat, l’instant de son repos et le signe de sa fraternité — nos troupiers la partageraient avec les ouvriers au lieu de les fusiller. Et cela composait une image profondément humaine, un peu sentimentale, morale, juste et dont tout le pays fut ému parce que son imagination la recomposait très fortement et très clairement. Dans ce mot-là, les principes d’humanité, de fraternité, si flottants et tout abstraits à l’ordinaire, simples morceaux de bravoure, pénétraient la vie réelle. Ce n’était point une expression de tribune, qui meurt dans le Journal Officiel après avoir éveillé des « Très bien ! très bien ! » sur les bancs de la Chambre, chez des êtres artificiels, chez des députés. Tous les Français la recueillirent, les ouvriers, les paysans dont le fils est à la caserne, et les bonnes femmes, et les petits vicaires, et les cabarets où l’on discute indéfiniment à la manière gauloise, et tous dirent : « Voilà qui est bien. »

Quand on sut l’effet produit en province, les gens réfléchis des couloirs commencèrent d’observer ce ministre d’un mois qui jusqu’alors n’était que le protégé de M. Clemenceau. Sa physionomie montrait quelque chose de très impérieux et à côté quelque