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L’APPEL AU SOLDAT

souffrir. S’éloignant encore de quelques pas pour être à l’abri des regards, il se laissa tomber à genoux et sanglota. Cette marque légère, là-bas, c’était le lieu de ses bonheurs anéantis. Cette France, il l’avait aimée, d’instinct d’abord, en cœur bien né, et puis en soldat fier de servir ; plus tard, en chef chargé de vivre la vie de l’État, de respirer et d’exprimer le souffle de tous ; enfin il lui avait dit : « Ne bouge pas ! je me charge d’exécuter tes désirs, tes vengeances. Je veux être la volonté nationale ! » Ivresses disparues ; ainsi s’éloignent ces bateaux sans laisser de, trace sur cette mer ; et les cris stridents de leurs sirènes s’évanouissent !

Comme il expiait ses faciles fortunes de jadis, en se déchirant à leur souvenir ! Là-bas, ses ennemis triomphaient, et ses amis irrités de sa défaite les rejoignaient pour l’accabler. À la brume, qui maintenant envahissait les espaces, le malheureux voulait crier : « Cache ma patrie, intolérable pour moi, le plus pieux de ses fils, qui me souviens de l’avoir connue d’accord, comme mon cœur, avec tous les mouvements de ma vie. » Où pouvait-il se rejeter ? Cette île de Jersey, qui, au premier instant, lui promettait un repos d’amour et d’espoir, avait encadré l’anéantissement de sa politique et la maladie de son amie. En vain se resserrait-il sur soi-même pour s’affirmer ses destinées, il ne se retrouvait plus. Détruit par l’excès d’épreuves ininterrompues, harassé d’un problème insoluble, il voulait se déserter pour vivre en Mme de Bonnemains, et, dans ce refuge encore, des lettres anonymes, des rapports d’amis, le goût qu’elle avait du mensonge, le venaient tourmenter. Mais autour de ce sentiment il groupait les