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L’APPEL AU SOLDAT

échapper à l’angoisse du vide, abandonne avec volupté son point d’appui sur l’abîme.

Nul doute qu’un traitement sérieux, grand air, repos absolu, hydrothérapie, peut-être un séjour à la Maloya, dans de telles extrémités, ne puissent redonner du ton, ressusciter l’énergie morte. Mais c’est là qu’une fois de plus se vérifie une formule de Goethe : « On meurt seulement quand on le veut bien. » Exacte dans le sens de ces philosophes qui conçoivent l’inconscient comme une volonté, cette phrase ici sera prise à la lettre. Le Général voulut mourir. Dans son cerveau s’était introduite l’idée fixe qui finit par nécessiter l’acte. Ce n’était plus : « Je veux rendre à la France Metz et Strasbourg, » ou bien : « Me venger de Constans ! » mais : « Je veux dormir mon dernier sommeil tranquille auprès de celle qui m’a été dévouée corps et âme et qui n’obtint en récompense de son sublime abandon que l’injure et la calomnie. »

Voilà que le héros devient élégiaque, signe qu’il se détruit complètement. La fatigue poussée jusqu’à l’usure donne des sentiments attendris. Presque tous les vieillards, en finissant, remercient et murmurent : « Dormir… tranquille… » Ces derniers mots nous sortent de la tragédie pour nous entrer au cimetière ; et, d’une importante vie publique, on passe dans ces intimités que l’on ne peut commenter qu’en baissant la voix.

Le petit groupe des fidèles où fréquentait assidûment Sturel se communiquait, en septembre 1891, des lettres du Général Boulanger qui sentent la mort. Il écrivait à une amie :

« Vous savez bien que mon existence actuelle est