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L’APPEL AU SOLDAT

d’une âme et d’un corps énergiques que des coups savants arrivent à jeter bas !

Sturel voulut s’assurer par lui-même des forces qui restaient au malheureux où il s’obstinait à placer des espoirs chaque jour plus âpres. Il manquait dans la circonstance de puissance représentative. Mais il vit dans cette ville bruyante son Général sans un ami, sans une sympathie ; il contempla cette triste rue en pente, ce petit hôtel de la mort, ces lettres amoncelées qui se plaignaient, quêtaient de l’argent, près de celui qui n’avait plus cinq cents francs dans ses tiroirs.

Ce chef déserté, cet amant assiégé par la mort, ce double naufragé du bonheur et de la gloire s’engloutissait dans une mer de désespoir sans rivage. Infiniment noble de romanesque simple, au milieu de sa faiblesse qu’il avouait, il prit sur une tablette un volume ouvert et lut à François Sturel, partisan déconcerté, cet admirable ordre du jour de Bonaparte sur le suicide d’un grenadier amoureux :

« Saint-Cloud, 22 floréal an X (12 mai 1802).

« Le Premier Consul ordonne qu’il soit mis à l’ordre de la Garde :

« Qu’un soldat doit savoir vaincre la douleur et la mélancolie des passions ; qu’il y a autant de vrai courage à souffrir avec constance les peines de l’âme qu’à rester fixe sous la mitraille d’une batterie.

« S’abandonner au chagrin sans résister, se tuer pour s’y soustraire, c’est abandonner le champ de bataille avant d’avoir vaincu. »

Il ferma le livre et dit :