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L’ÉPUISEMENT NERVEUX CHEZ LE GÉNÉRAL

nue, le regard fixe, les yeux secs et d’une impassibilité que Sturel, en s’éloignant par discrétion, n’interprétait pas sans angoisse. Des jardiniers dirent au jeune homme que, d’autres fois, une heure entière, le Général marchait, rêvait, sanglotait comme un enfant. Dans ces soliloques funèbres, tout son être jadis un peu vulgaire, optimiste et sociable, se transformait sous le bénéfice de la douleur.

De la campagne, en toute saison, s’élève le chant des morts. Un vent léger le porte et le disperse, comme une senteur, et c’est l’appel qui nous oriente. Au cliquetis des épées, le jeune Achille, jusqu’alors distrait, comprit, accepta son destin et les compagnons qui l’attendaient sur leurs barques. La fatalité se compose dans les tombes. Le cri et le vol des oiseaux, la multiplicité des brins d’herbe, la ramure des arbres, les teintes du ciel et le silence des espaces nous rendent intelligible la loi de l’incessante décomposition…

Mais qu’importe à Boulanger la raison de l’univers ? Né pour agir, il ne s’apaisera dans aucune contemplation. Marguerite étendue dans sa fosse l’appelle et soulève la terre froide.

Il se répète les mots qu’elle chuchota quand, près de quitter la vie, elle voulait se résumer et lui léguer la certitude de son affection. Plus expressifs que des paroles, il voit les jeux de physionomie, les épouvantes, en face desquelles il demeurait impuissant et détruit. Puis elle s’anéantit malgré qu’il lui criât de demeurer.

De ces mortelles circonstances, si l’instinct de conservation, plus fort que ses serments, fait évader sa pensée, elle se déchire au passé, au présent, à