Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
L’APPEL AU SOLDAT

Bouvier et le Général. On se rendit en voiture d’artillerie au fort de la Malmaison. Vingt obus à la mélinite l’avaient détruit. Les députés suivirent sur place l’histoire de chaque projectile. Ils constatèrent l’effet foudroyant. Ensuite, le colonel Lebel tira avec son fusil appuyé sur un chevalet. On avait disposé l’un derrière l’autre deux troncs d’arbre, de quarante centimètres d’épaisseur chacun ; après trois manque à toucher, la balle les traversa et, en outre, une cuirasse. La Commission, édifiée et flattée, vota trente millions. En 87, Boulanger obtint deux cents millions sans qu’un mot fût dit en séance. Il avait su prendre et imposer une résolution. Son entente de la mise en scène avait servi le pays.

Formé dans un milieu où l’éducation professionnelle vaut tout, Boulanger avait le respect des compétences techniques. Il les recherchait dans chaque ordre où il devait s’intéresser. Aussi dénué de connaissances que de passions en politique, il devait apprécier M. Naquet, qui est bien l’intelligence politique la plus érudite et, par abus du sens critique, la plus caméléonesque. Il déjeunait fréquemment avec ce fameux radical, le « père du divorce », qui, porté à philosopher, lui expliquait les vices du régime parlementaire et que les coups d’État valent par la vertu qui est en eux : « On peut en faire pour le compte de la démocratie. Certains prétendent que le Dix-Huit brumaire fut un coup d’État contre les idées révolutionnaires. D’après M. Aulard, c’est une erreur. Bonaparte essaya par un coup de force de remonter le courant qui entraînait la France à la réaction et qui bientôt après l’entraîna lui-même. Son opération fut en deux temps : il faut louer le premier ». —