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L’APPEL AU SOLDAT

visage livide, marbré de taches roses, annonce la décomposition, mais ce sont les pleurs du vivant qui cernèrent si durement ces pauvres yeux fermés. À la tempe droite, moussent des débris d’ouate sur lesquels le sang est coagulé.

Solitaire et criant vengeance, Sturel se tourna vers Saint-Phlin. À l’ami de son adolescence, il fit les signes de sa détresse. En quittant le cadavre, il lui écrivit, d’un ignoble café belge :

« Mon cher Henri,

« Tu connais sa mort. En même temps que ma lettre, tu liras les longues colonnes d’injures sous lesquelles d’ignominieux adversaires veulent l’enterrer. Jusques à quand coulera le flot des outrages ? On prétend nous faire croire qu’un Constans a sauvé l’honneur de la France. Dans les manuels scolaires, on définira le boulangisme une boulange, une bande d’aigrefins. Thucydide rapportant une croyance analogue s’arrête de la combattre et dit : « La légende s’était créée. » Mais laisserons-nous les Hébrard, les Camille Dreyfus, les Portalis, les Canivet, les Edmond Magnier, les Mayer, les Constans, les Thévenet, les Clemenceau et les Reinach créer les légendes françaises ! Que nous servirait-il, mon cher Saint-Phlin, d’avoir reconnu nos âmes sur la Moselle, de leur avoir restitué leur sincérité héréditaire, si nous jugions un Français sur les injures des étrangers et non pas sur l’émotion que nous communique sa biographie ?

« Tu ne peux pas dénier a ce mort ton témoignage. Tu ne refuseras pas ton office funèbre au soldat vers