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L’APPEL AU SOLDAT

du Général se réjouit de ces ovations, préparées, croit-elle, pour le retour de son fils. Ainsi l’âme étrangère et toutes les conditions de l’exil pèsent encore sur un corps inanimé.

Vers trois heures et demie enfin, les Français s’étant groupés au nombre de quelques milliers, sous leur poussée réunie, on ose sortir le cercueil, enveloppé du drapeau tricolore qu’offrirent en 1887 les femmes de Metz au triomphant ministre de la Guerre. Deux cents mains d’amis soutiennent en l’air, hissent encore sur le pavois le cadavre, tandis qu’une terrible clameur de : « Vive Boulanger ! » s’élève, contestée par les : « Vive Carnot ! » policiers. Et l’immense majorité des « vivats boulangistes » donne aux Français une joie aride, tandis que deux valets apportent, l’un la plaque de la Légion d’honneur, et l’autre une trentaine d’ordres étrangers.

Dans le coupé du Général, aux harnais de deuil, aux lanternes allumées et couvertes de crêpe, on entasse de fleurs tout ce qu’il peut contenir. Elles cachent le sang dont s’imbibèrent les coussins au retour d’Ixelles.

Sitôt que la cavalerie a fendu ces épaisseurs de peuple, le corbillard, derrière elle et par cette brèche, s’enlève au trot. Les députés en écharpes, les délégués des comités courent, le soutiennent, fiévreux, et des larmes dans les yeux. Les porteurs chargés des couronnes, qui, trop nombreuses, ne purent tenir sur le cercueil et dans le coupé, en font une haie qui protège le deuil contre la poussée d’un immense public. Et voilà dans quel appareil étrange, sur un parcours où des femmes éclatent en sanglots, tandis que les hommes acclament le loyalisme de l’exil, la