Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
AUTOUR DE LA GARE DE LYON

— Pourtant, objectait-il, la popularité de Boulanger est immense chez les petits bourgeois, et les ouvriers. À l’Hôtel du Louvre, sur le parcours et ici, j’ai vu, au bas mot, cent mille manifestants.

Des hourrahs venaient de la gare. Des hommes du peuple passaient et chantaient : « Vive notre brave Boulanger ! L’unanimité des sentiments et le manque de police gardaient à ce tumulte la douceur d’une fête patriotique sans ivrognes.

Bouteiller haussait les épaules :

— Quelle comédie ! S’il avait mis à éviter ce piteux scandale le cinquième des efforts que, depuis huit jours, il dépense à l’organiser, croyez qu’il aurait pris fort tranquillement son train. À l’Hôtel du Louvre et ici, vous avez vu les mêmes marmitons : des figurants qui passent et repassent pour faire nombre.

— Sa voiture allait trop vite pour que des piétons pussent suivre.

Alors Bouteiller, d’un ton de juge d’instruction :

— Dans quelles dispositions êtes-vous donc, que vous comptez, sans en excepter un, tous les amis de M. Boulanger ? Je comprends qu’une presse surchauffée par des moyens inavouables puisse troubler des hommes incapables de démêler le principe de cet agitateur et le principe des républicains. Mais je vous tiens pour un esprit politique. Méfiez-vous d’une popularité qui n’est qu’une aventure. Ceux qui placeraient en lui leur confiance ne contrediraient pas seulement la vérité républicaine, ils s’exposeraient à de cruels mécomptes. Je l’ai vu de près, ce Boulanger : il n’a pas d’étoffe… Si j’étais son ami, je lui conseillerais de se calmer. Qu’il parade sur son