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AUTOUR DE LA GARE DE LYON

De taille moyenne, les épaules larges sur la poitrine un peu rentrée, les mains nues, le masque pâle et les yeux assez beaux par leur gravité, il se détachait certainement comme un individu dans ce flot d’êtres amorphes, mais peut-être prenait-il de ce contraste une conscience un peu inhumaine : plus que son port de tête et que sa démarche, sa manière de porter son regard tout droit devant lui sans jamais le distraire sur les passants qu’il frôlait, sur les voitures, sur les maisons, sur tout le mouvement parisien, marquait une pensée dure, esclave de sa logique intérieure et qui ne s’embarrasse pas à remettre en question les vérités qu’elle a décrétées.

Il y a dans Bouteiller de l’aristocrate, en ce qu’il s’attribue le devoir de protéger cette foule contre elle-même, et cette aristocratie se trahit, non point par l’impertinence d’un jeune homme fat de sa personne, mais par l’impériosité d’un jeune contremaître qui vient de surveiller le travail d’un atelier et s’isole des préoccupations de son personnel.

Il jouit de voir nettement l’impuissance de cette foule et de ce roi des halles. « Ah ! que ces bons braillards se fatiguent et que ce pauvre soudard se paye de leurs acclamations ! Chez les uns et chez l’autre, c’est enfantillage de grands naïfs qui manquent encore d’éducation. » Mais bien vite il se reproche ces généralités et craint de tomber dans la rêverie. Alors, pour se ressaisir, après ce divertissement, ce grand travailleur s’impose de fixer son attention sur un point particulier. Et il se met à examiner mentalement la situation parlementaire de la Compagnie de Panama.

Entré à la Chambre grâce au concours de cette