Page:Barrès – Leurs Figures.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
LEURS FIGURES

Il but aussi beaucoup d’eau. Au terme de ce terrible lancer, c’est le gibier dans la mare.

Nul doute qu’à cette extrémité et quand il fit sa suprême méditation : « La vie vaut-elle la peine d’être vécue ? » le baron de Reinach ne se comprît comme une victime expiatoire. Les administrateurs qui voulaient rejeter sur les parlementaires la vindicte publique ; les parlementaires enragés d’être trahis ; Cornelius décidé à tout briser ou à faire de l’or ; le gouvernement qui ne pouvait pourtant pas poursuivre cent cinquante députés, sénateurs et grands fonctionnaires ; la Justice qui ne voyait plus que la mort pour arrêter un procès scandaleux ; sa famille enfin, tout chassait ce malheureux dans les résolutions extrêmes. Ainsi Israël jadis poussait au désert le bouc chargé des malédictions qu’il fallait détourner de dessus le peuple.

Rien ne fausse plus la réalité que d’y vouloir trouver des types absolus et complets. Frivole et grossier, ce jouisseur cynique, ce porc du boulevard, ce Jacques de Reinach a tout de même des entrailles humaines, familiales. De longs siècles de ghetto le formèrent. Et puisque Joseph, sous sa redingote de la Conférence Molé, cache les obstinations d’un prophète d’Israël, j’admets que ce baron se sacrifia comme un patriarche pour sa tribu. Pourquoi n’eût-il pas ressenti des sortes de remords ? Il est très possible qu’il ait été si bon