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LA PREMIÈRE CHARRETTE

gauche a dit : « À les voir gravir la tribune dans un pareil silence, j’avais mes jambes qui tremblaient sous moi. »

Discours charmant, celui d’Arène, plein de jeunesse et d’une singulière fierté aventurière qui détendait les pires inimitiés. Sa voix cadencée d’Italien montait là-haut vers la tribune des journalistes, leur demandant leurs bons offices au nom de quinze ans de confraternité ; elle s’en allait vers « ceux de là-bas », sur la rive corse, rappeler aux électeurs dix ans d’obligeances réciproques ; puis son couplet, soudain, revenait au banc des ministres, pour frapper droit au visage et Bourgeois et Ribot.

— J’ai constamment servi de toutes mes forces mon parti et soutenu de mon mieux ceux-là mêmes des chefs qui m’envoient brusquement, sans que je m’y sois attendu, cette balle en pleine poitrine.

À cet accent d’une certaine générosité cavalière, on distingue nettement un abîme entre notre honorabilité et l’« honneur » selon un tel partisan qui se rend ce témoignage : « J’ai été fidèle et brave, j’ai mérité d’avoir des amis », et qui ne cherche pas plus loin. Aux hommes de cette sorte, nos aïeux formés par les rapports féodaux, plutôt que par la notion de la loi, montraient une indulgence que leur garde encore le Boulevard. Et la Chambre, dans cette soirée où l’on croyait les