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LE SYMBOLISME

mode, avec un monocle incrusté dans l’œil et une fine barbe en pointe à la Henri III. D’une voix de stentor, Floupette récite à cette assistance choisie des ternaires de sa composition :

Je voudrais être un gaga
Et que mon cœur naviguât
Sur la fleur du seringua.


— Gaga ! fait une de ces dames, mais, mon pauvre ami, tu l’es déjà. On se récrie ! Caraboul trouve gaga très bien, seulement il y a dans naviguât un t qui le chiffonne. Bleucoton (Verlaine), déclare Floupette, n’a pas hésité à l’employer et il cite des exemples. Or, Bleucoton était une autorité indiscutable et Floupette continue :

Je voudrais que mon âme fût
Aussi roide qu’un affût
Aussi remplie qu’un vieux fût.


Aussitôt, le plus âgé, qui n’a pas trente ans, s’emporte contre ces mots horribles fût et affût. « Toute âme délicate, s’exclame-t-il, en doit être choquée. Il n’y a pas là ombre de nuances, pas la moindre issue pour le rêve, aucune lueur paradisiaque. Si nous sommes les Poètes, c’est que nous possédons le grand secret, nous rendons l’impossible, nous exprimons l’inexprimable. Et s’animant peu à peu, car il est naturellement éloquent et s’écoute volontiers parler, il vaticina : « Le rêve ! le rêve ! mes amis, embarquons-nous pour le rêve. L’Église notre mère professe que le rêve est une prière. Les saintes abîmées dans l’extase étaient des poétesses ; le poète était autrefois un voyant. Aujourd’hui, la négation brutale a tout envahi ; l’homme d’action est un sauvage. Mais nous, que la vie et la pensée ont affinés, si notre raison se refuse à croire, donnons-nous au moins en rêvant l’illusion de la foi. » Ayant dit, il se tut et soupira profondément.

Après avoir entendu d’autres poésies dont le titre atteste