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LE SYMBOLISME

noir, des lèvres de pourpre ou de vermillon coupées en deux par un large coup de sabre, le charme alangui d’un corps morbide, entouré de triples bandelettes comme une momie de Cléopâtre. Voilà l’éternelle charmeuse, la vraie fille du diable !

À ces mots, entre un vrai gentleman de manière charmante, d’allure mystérieuse et entortillée, avec je ne sais quoi d’ecclésiastique, intéressant parce qu’il est damné de toute éternité : « Le diable, qui parle de diable ? fit-il. » Comme on avait bu beaucoup de bocks, la conversation s’échauffa. Un macabre survint qui, roulant des yeux terribles, affirma qu’un cimetière au crépuscule ferait un cadre admirable à une idylle d’amour et que rien ne valait pour se tenir en joie la compagnie d’une tête de mort. Un autre vanta l’Imitation de Jésus-Christ et avoua qu’il la préférait même à la Justine du marquis de Sade. Un troisième se déclara hystérique.

On se sépara enfin et chacun tenta de rentrer chez soi. Floupette était abominablement ivre. Tout le long du chemin, il évangélisait Tapora en titubant : « De la perversité, mon vieux ! soyons pervers ! promets-moi que tu seras pervers ! » Au seuil de sa porte, Floupette invita son compagnon à monter dans sa chambre, avec la plus grande précaution du reste, car le concierge n’était pas commode. En silence, les deux amis grimpèrent donc au cinquième étage jusqu’au logis de Floupette. C’était une étroite mansarde ornée d’esquisses symbolistes. On y voyait un magnique dessin du grand artiste Pancrace Buret, ainsi qu’une gigantesque araignée qui portait à l’extrémité de chacune de ses tentacules un bouquet de fleurs d’eucalyptus et dont le corps était constitué par un œil énorme désespérément songeur. Floupette, déshabillé par Tapora, se mit au lit et un peu dégrisé entreprit d’exposer au pharmacien le grand mystère d’Isis. C’est la justification de l’obscurité symboliste. Après avoir trouvé une source d’inspiration nouvelle, il fallait en fixer les