invente ces riens aimables, polis et raffinés dont les salons
font leurs délices[1]. Il verse même dans la préciosité ; il
entreprendra dans les Fêtes galantes des tableaux à la
Watteau. Il tentera d’y exprimer le charme de la femme
coquette, surtout le singulier attrait de ses robes et de ses
dessous. Ses personnages portent des noms précieux : Pierrot,
Arlequin, Colombine[2]. Il montre sur l’herbe des abbés et
des marquis. Tircis, Aminte, Clitandre s’égayent à la mandoline.
Les héros des romans du xviie siècle, les Scipion, les
Clymène, les Cyrus défilent dans ses vers. Clymène et
Colombine se voient consacrer des poésies tout entières. Le
galant, le précieux, la joliesse des rubans, des gazes et des
minois poudrés résument pour lui le féminin. Mais la mignardise
est vertu d’amant très jeune. Avec l’âge, la bête parle
plus haut dans l’homme et les artifices ne font qu’exciter la
sensualité du mâle. Avec saisissement, avec appréhension
aussi, Verlaine constate en lui cette évolution :
Ment-elle ma vision chaste
D’affinité spirituelle
De complicité maternelle
D’affection étroite et vaste[3] ?
Il n’ose croire à une alliance aussi forte entre l’esprit et la
chair. Et pourtant, il se sent incapable désormais de concevoir
l’amour séparé des caresses impures :
J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille,
Je souffre et je veille
Sans me reposer,
J’ai peur d’un baiser[4].
Cette délicatesse extrême cède bientôt aux vagues violentes de la passion ; la tempête va balayer ces derniers scrupules