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VERLAINE


C’est aussi l’esquisse de baisers superficiels et de sentiments à fleur d’âme [1], ce sont des choses crépusculaires,

Des visions de fin de nuit
Qu’éclaire seulement une aube qui luit[2].


Ce sont encore les mouches des soleils noirs, les petits désespoirs et les petits espoirs [3], tout ce qui, dans le flot des sensations qui déferlent sur un cœur, provoque ces divinations fugitives, ces lueurs éphémères, ces angoisses inexprimables par où le poète communie avec l’infini.

La poésie échappe donc à toute règle logique de composition et d’expression. Elle se moque de la traduction exacte du monde intellectuel, de la notation directe du monde sensible ; elle est fond et forme la fantaisie envolée du poète ; elle n’obéit qu’à une loi suprême, celle qui lui vaut son universalité et par suite son influence : le rythme musical.

De la musique avant toute chose
De la musique encore et toujours[4],


L’unité du poème n’est pas une unité rationnelle, c’est une unit musicale. Le poète n’a nul besoin de se tourmenter pour être clair. Il le sera assez s’il a su transcrire la mélodie de son âme. On a donc tort d’attribuer l’obscurité prétendue de Verlaine « à sa paresse d’esprit, à son ivrognerie, à son insouciance de bohème [5] ». L’obscurité n’est pas dans l’œuvre de Verlaine, mais dans les préjugés de celui qui lit. Il cherche en effet dans le poème non l’émotion consécutive à la musique des sensations et des mots, mais l’éclair qui illumine l’esprit à la lecture des morceaux logiquement composés. Quoi de moins explicable, mais aussi quoi de plus charmeur

  1. Fêtes galantes : En patinant.
  2. Naguère : Prologue.
  3. Jadis et naguère : Prologue.
  4. Jadis et naguère : Art poétique.
  5. Conférence sur Paul Verlaine, par M. Vincent.