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LE SYMBOLISME


Cette licence, assez rare dans les œuvres du poète antérieures à 1893, n’est assurément pour lui qu’une manière d’affirmer davantage l’entière liberté de l’écrivain aussi bien en matière de rythme qu’en matière de style.

Au point de vue formel, le symbolisme de Verlaine s’affirme donc comme une révolte du génie poétique contre les règles, quelles qu’elles soient, classiques, romantiques, ou parnassiennes qui prétendent restreindre son domaine d’inspiration ou limiter sa puissance d’expression. La seule règle ici, c’est d’avoir quelque chose à dire et de le dire avec toute la simplicité dont on est capable. Verlaine revendique pour le poète le droit d’exprimer tout ce qu’il pense ou tout ce qu’il sent de la façon qu’il juge la plus propre à reproduire cette pensée ou cette sensation. Pour cela, guerre à la rhétorique, guerre à la littérature. Place à la sincérité, à la spontanéité. Cela conduit directement à l’abolition de toute technique prosodique ou philologique. La fantaisie musicale du poète est souveraine partout, dans la métrique comme dans la syntaxe. L’essentiel, c’est d’abréger la distance entre la sensation et l’expression, c’est, selon le mot de Taine, obtenir que la forme s’anéantisse et disparaisse, c’est faire de l’œuvre d’art une œuvre de douceur, où ne saille aucun angle brutal, c’est préférer à tous les codes poétiques le charme indéfinissable, et du reste éminemment subjectif, qui naît d’un motif harmonique. « Et vive un vers bien simple, s’écrie Verlaine, autrement c’est la prose [1]. » Oui, il faut être simple, simple à la manière de Villon, simple à la manière des primitifs, mais subtilement simple comme un primitif qui serait né au xixe siècle.

Ainsi le symbolisme de Verlaine se résume dans un effort tenté pour réconcilier la littérature et la vie. Il faut attraper tout l’homme, le peindre dans ses élans vers la chair et vers Dieu, saisir enfin ces nuances imperceptibles, ce clair obscur

  1. Bonheur, XVIII.