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MALLARMÉ


Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie,
Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s’immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.


Un disciple de Mallarmé, Albert Mockel, en donne cette explication, « J’y vois apparaître, écrit-il [1], l’image d’un cygne captif dans un étang glacé, celle d’un cygne qui se débat, celle (par allusion) de l’oiseau qui dévore l’espace et celle du blanc désert de la neige. J’y vois la conception platonicienne de l’âme déchue de l’idéal, et qui y aspire comme à sa patrie natale ; — et celle que le genre est un isolement de par son aristocratie. Il nous suggère aussi la misère du poète, ici exilé, — jadis il eût été prophète, — et qui survit à son moment. Et la conclusion stoïcienne : vaincre par le mépris le malheur, en gardant haut la tête. Enfin on en peut faire des adaptations morales assez diverses, — celle-ci par exemple qui fut, je crois, dans la pensée de l’auteur. L’homme supérieur, s’il succombe à la vie quotidienne est la victime de son antérieure indifférence : pour n’avoir pas chanté la région où vivre, pour n’avoir pas secoué à temps les préjugés qui l’étreignent à présent, captif malgré son indignation. Placé au centre de ces idées et de ces images, le poète les envisage d’ensemble ; il les voit toutes à la fois et jusque dans leurs détails. Et lorsqu’il parle, ce n’est point pour nous les exposer, discursivement ; il nous les rappelle plutôt, comme s’il épelait la confidence d’une émotion que déjà nous avions devinée. Ainsi certaines mélodies modernes dérivent à la fois de plusieurs tons qu’elles quittent et reprennent sans les avoir rigoureusement formulés. Les premières mesures de Tristan et Yseult paraissaient inintel-

  1. Stéphane Mallarmé. Un héros.