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LE SYMBOLISME

l’idéal, on masque dans son goût du nouveau des tendances également hostiles aux platitudes du naturalisme.

5. Cette réaction idéaliste des arts était alors concomitante avec certaines idées nées à l’étranger, qui, vulgarisées en France par des revues sympathiques aux civilisations extérieures, influençaient les arts et les lettres. C’était d’Angleterre le mysticisme utilitaire, religieux ou paradoxal, de Russie l’humanitarisme, d’Allemagne le synthétisme idéo-réaliste.

Les romanciers naturalistes d’Angleterre avaient en France, et avec succès, répandu des théories que l’école de Médan eût regardées comme la négation même du naturalisme. Ils pensaient que l’œuvre littéraire devait offrir une consolation aux misères de la vie quotidienne, et qu’en prenant son objet dans le réel, elle avait pour fin non de naturaliser la réalité, mais au contraire de l’idéaliser.

L’art pour l’art est une théorie détestable : elle conduit au découragement et au pessimisme. Le roman doit corriger la réalité ; il est un moyen de propagande, une arme de moralisation. Comme du haut d’une chaire, l’écrivain doit, des pages de son livre, enseigner les foules et leur prêcher la bonne parole, celle qui détourne les yeux des ronces de la terre et les invite à contempler le ciel. Telles sont les tendances de l’écrivain réaliste G. Eliot. Dans Adam Bede (I, II), elle professe un véritable culte de l’humble réalité, mais elle y découvre les raisons nécessaires de l’altruisme. Elle préconise la patience, elle vante la tolérance, elle met en exemple la solidarité. C’est grâce à cet enseignement d’une si grande portée morale que la traduction des œuvres de G. Eliot par Montégut obtenait en France dès 1859 un si vif succès. En prouvant l’insuffisance du réalisme français, la romancière démontrait par avance la vanité coupable du naturalisme.

Cette influence moralisatrice de l’art est encore affirmée