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LES VERLAINIENS



L’ennui descend sur moi comme un brouillard d’automne
Que le soir épaissit de moment en moment,
Un ennui lourd, accru mystérieusement,
Qui m’opprime de nuit épaisse et monotone[1].


Le poète n’échappe à la nostalgie qui l’accable que par des envolées magnifiques vers l’idéal, vers la beauté. Il la peint sous les traits d’une étrangère, vierge aux douces mains, qui garde dans ses voiles un long parfum de gloire et de divinité, Elle descend vers les hommes dans un âge devenu si positif que les sages enseignent aux peuples « l’horreur des jeunes dieux et des lys éclatants ». Symbolisant alors les douleurs qu’entraîne après soi la conquête du beau, le poète la montre reçue, par les vieillards, gardiens des glèbes, à coups de bâtons et de faux, pourchassée par les femmes qui l’accusent de souiller le pays d’une senteur de ciel et qui, farouches, ivres de haine et de fureur, l’assassinent enfin, puis s’acharnent sur son cadavre aux plus hideuses profanations :

Et toutes, emplissant de sables et d’ordures
La bouche qui savait les mots mélodieux,
Sur la divine morte, avec leurs mains impures,
Se vengent de l’amour, des rêves et des dieux[2].


Ainsi meurt la vierge coupable d’avoir voulu répandre sur l’ennui du monde un peu de lumière et d’espérance. L’idéal n’est pas de cette terre : il n’y a partout que laideur, lassitude, et tristesse. La nostalgie du beau ajoute donc encore chez Mikhaël au dégoût de la vie. Il s’en venge un peu à la manière de Baudelaire par des comparaisons macabres :

Une gloire large et de divers ors,
Comme le soleil que le soir mutile
Luit sur le charnier des nuages morts[3] ;


par des tableaux d’un sadisme mesuré :

  1. Crépuscule pluvieux.
  2. L’Étrangère.
  3. Impiétés.