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LES VERLAINIENS

Samain. Werther, René, Rolla, reflètent dans son âme leur mélancolie et leur nostalgie. Comme eux, Samain se plaint d’avoir trouvé la vie inférieure à ce qu’il espérait, et comme eux, il se console de ses illusions évanouies, en s’abandonnant au romanesque, à l’exotisme, au mirage des féeries ou des paysages d’Orient, à toutes ces délices du rêve ou de la fantaisie, grâce auxquelles les disciples blasés d’Hugo entretenaient si magnifiquement leur désespoir. Pessimiste aussi, Samain professe le dédain de la foule, mais il est rongé par le désir maladif de suivre des routes inconnues et par elle d’arriver à la perception de l’irréel. Comme il n’a pas la force d’agir, il médite, il s’enthousiasme et ce lyrisme cérébral aboutit à des vers qui trahissent la nervosité du poète. Samain n’a pas du reste que l’esprit du romantisme ; il en adopte les procédés ; il a pieusement recueilli tous les oripeaux du romantisme religieux et médiéval, soigneusement mis à profit dans le Chariot d’or, par exemple [1], les artifices oratoires du romantisme de panache. Il incline d’ailleurs à l’éloquence, assez même pour faire usage de ces rimes triplées dont l’allure rapproche la strophe du discours. Ses aspirations vers l’inconnu devaient faire de Samain la proie facile du bas romantisme. Aussi a-t-il violemment subi l’empreinte de Baudelaire. Le misogynisme, l’éroto-mysticisme, l’amoralisme raisonné, la perversité consciente et volontaire qui déparent plusieurs sonnets d’Au Jardin de l’infante dérivent en droite ligne du satanisme Baudelairien. Du reste, la technique de Baudelaire enchante Samain. Il y admire « la volonté, la règle, la logique dans l’inspiration ». Il envie cet art « cristallisé dans sa forme impeccable et qui donne, par son absolu étincelant et incorruptible, la sensation de la pierre précieuse [2] ». Ce culte pour Baudelaine a sur Samain une double influence. Au point de vue de la forme, il

  1. Cf. aussi Évocation.
  2. Notes inédites.