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LE SYMBOLISME

par le parfum mystique qui se dégage de ces vers. L’évocation ne se produit plus par le travail volontaire du lecteur ; elle se présente d’elle-même, comme l’impression générale d’un morceau musical émane tout naturellement de l’exécution des notes écrites. Cette émotion poétique procède d’images facilement saisissables [1] et aussi d’une métrique dont l’extrême simplification équivaut à la musicalisation du vers. Le poète préfère les octosyllabes et les associe avec des mètres plus courts. Le vers est régulier et le morceau ne brille par aucune acrobatie de césures. Son rythme provient du retour dans chaque strophe, comme refrain, d’un vers entier ou partiellement modifié, de l’allitération poussée souvent jusqu’à la simple répétition des mêmes termes et enfin de la substitution presque générale de l’assonance à la rime. La mesure du vers n’est pas dans la forme fixe plus ou moins classique, mais bien dans l’émotion primordiale dont le poème est l’expression mélodique. Ainsi, par la spontanéité de sa forme, Mæterlinck rejoint Francis Jammes, mais il a sur lui le privilège de la pensée philosophique. Dans ses chansons, se réalise vraiment l’art symboliste qui est de traduire, sous une forme harmonieuse, naturelle et suggestive, l’angoisse de l’humanité devant le Mystère. Aucune étrangeté satirique ou naïve ne dépare son œuvre. Il a eu le sens de l’Inconnaissable. Il a reproduit les échos de l’Infini dans une musique accessible à toutes les âmes, et par instinct génial, évité les oripeaux de la bizarrerie, au milieu desquels, pour retrouver la clef d’or peut-être à jamais perdue, s’en vont culbuter les disciples excentriques de Verlaine.

  1. Sur l’art des images dans Mæterlinck. Cf. Reggio : Au Seuil de leur âme, p. 290-295.