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LE SYMBOLISME

lumières des lettres, peu de choses restait à glaner dans le champ de l’excentricité. Il risquait fort de ne répéter, sous nne forme peut-être plus personnelle, que le geste de Verlaine ou de Mallarmé. Mieux que pauvre Lélian, ce dernier lui parut avoir donné la formule de la vraie poésie. Aussi, les premiers poèmes de René Ghil utilisent-ils, avec un rare bonheur d’assimilation, les procédés de la technique mallarméenne. Cependant, l’ambition du jeune poète n’était pas satisfaite de ces imitations habiles. René Ghil ne voulait non plus, à la manière de Moréas, « pasticher Rutebeuf, instaurer le vocabulaiae du xiiie sièle, roucouler les dolences des gentils preux, ou évoquer la légende à la mode de Wagner, ou enfin, sur les pas d’Henri de Régnier, brosser de somptueux décors et hanter l’ombre des silhouettes châtelaines ». Il souhaitait mieux et plus neuf.

René Ghil crut, à vingt-cinq ans, avoir découvert une philosophie profonde. Issu des doctrines évolutionnistes, son système se résume ainsi : la matière est éternelle et illimitée. Elle se meut, non comme le déclare Gœthe, selon la spirale, non comme le schématise l’italien Vico, selon le cercle, mais selon l’ellipse, car par l’ellipse elle sort de la fatalité du cercle et tend vers l’affranchissement infini de la ligne droite. Tout cela pour démontrer que la matière progresse et va vers le Mieux. Quel est le moteur de cette matière ? Ce n’est pas, comme l’ont pensé Darwin et Spencer, la loi de lutte pour la vie, mais bien l’Amour, procréateur du Mieux. La matière est, en effet, inconsciente ; elle se développe pour se connaître. Les divers degrés de ce processus sont la sensation, l’instinct, la pensée. Au jugement de René Ghil, cette théorie cosmogonique met un terme à la vieille et longue querelle occidentale entre le matérialisme et le spiritualisme. Elle a le mérite d’être conforme aux données de la science positive ; elle est donc un idéalisme rationnel.

L’œuvre du poète, établie sur un tel principe de philoso-