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LES MALLARMÉENS

se gonflent, se condensent. Leurs diverses apparences extérieures, voilà la forme. Mais qu’ils s’approchent de la terre, qu’un arbre les sollicite, qu’une pointe les perfore et les pénètre, un éclair jaillit, un rais de lumière resplendit et c’est la foudre, image de leur essence. Dans l’œuvre, la forme (prise en ce sens) est l’action, le sujet du roman, la succession des tableaux, la liaison des strophes et des idées. Le symbole en est l’essence. C’est l’intime et vague rêverie de l’artiste, l’idée indéfinie qui gît au tréfonds du livre, la conception qu’il semble avoir réduite en fluide pour le répandre sur l’œuvre entière d’où elle émane ensuite comme un parfum subtil [1]. » Les termes Essence et Unité deviennent donc synonymes et le poète peut entrevoir dans l’esthétique symbolique cette conception idéale : « Du cercle infini de la vérité, le symbole contenant l’idée, s’élève en forme de tige et de calice ; sur le fer et le calice du symbole, des pétales s’épanouissent et sont la fleur délicate et brillante de l’œuvre [2]. »

Comment réalise-t-on cette œuvre ? En donnant « à la fluide pensée qui naît et s’évanouit sa forme naturelle, sa ligne rythmique et son développement musical. Car la musique ici a précédé la poésie. Les anciens compositeurs — fût-ce même Beethoven en sa neuvième symphonie — avaient restreint la course de leurs idées aux limites d’un rythme phraséologique, des phrases carrées, le repos nécessaire au milieu, les mesures en nombres jumeaux. Les thèmes brefs et signifiants, la mélodie continue de Richard Wagner, ont enfin pénétré la poétique moderne. Mais cette assimilation n’a pas été complète. La plupart de nos poètes gardant le raide cadre des hexamètres anciens, ont appliqué la réforme harmonique au seul contenu des vers. La rime est conservée, renforcée par des allitérations et par un choix strictement logique des syllabes et des sons. Sans aller jusqu’à vou-

  1. La Wallonie, 1886, p. 142. Critique du livre de Picard : Pro Arte.
  2. La Littérature des images. La Wallonie, II, 1887, p. 401 et suiv.