Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
LE SYMBOLISME


La syntaxe et le style suivent la métrique. Préoccupé de faire puissant et grand, Verhaeren ne s’embarrasse ni de règles étroites ni de langue chatiée. Il semble avoir lui-même résumé sa manière dans Cantique [1].

Je voudrais posséder pour dire tes splendeurs,
Le plain-chant triomphal des vagues sur les sables
Ou les poumons géants des vents intarissables,

Je voudrais dominer les lourds échos grondeurs
Qui jettent dans la nuit des paroles étranges
Pour les faire crier et clamer tes louanges,

Je voudrais que la mer tout entière chantât
Et comme un poids le monde élevât sa marée
Pour te dire superbe et te dresser sacrée,

Je voudrais que ton nom dans le ciel éclatât
Comme un feu voyageur et roulant d’astre en astre
Avec des bruits d’orage et des heurts de désastre.


Verhaeren crie, clame, éclate, et pour cela, il use à l’aise de toutes les licences poétiques. Il traite la syntaxe en pays conquis, forgeron verbal d’une puissance étrange, confondant la nature des mots, faisant de l’adverbe un nom, un adjectif ou réciproquement, illuminant tout de couleurs flamboyantes, mariant dans un désordre heurté mais puissamment beau les tonalités criantes de Goya, au noir de Zurbaran, à la santé luxuriante des peintres flamands.

En un mot, chantre du « paroxysme et du sursaut », épris d’un art à la fois viril et sauvage, se ruant sur l’inconnu, vociférant tour à tour ses espérances et ses désespoirs, acharné après ce qu’élabore et veut l’humanité tragique, mais aussi victime du mirage éternel à la poursuite de ce

Colossal navire aux voiles effarées
Qui nous hanta toujours et n’aborda jamais[2],

  1. Les Bords de la route : Kate.
  2. Les Forces tulmutueuses : Sur la mer.