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LA GENÈSE DU MOUVEMENT SYMBOLISTE

nalité qui caractérise les précurseurs. Meyerbeer avait déjà donné l’impression, dans son Robert le Diable (1831), que la musique du grand opéra avait peut-être, pour multiplier sa puissance d’évocation, autre chose à faire qu’à encadrer les personnages du drame. Après lui, Berlioz avait retenu le principe et dans son Roméo (1839) d’abord, dans la Damnation de Faust (1846) ensuite, prouvé qu’ « en creusant », la musique dépassait le simple effet romantique pour atteindre le symbolisme. C’est de nos jours seulement, en présence des dithyrambes excessifs mérités par Wagner, que la critique s’est aperçue de l’orientation que Berlioz avait le premier donnée à l’art lyrique. Il reste vrai néanmoins que la bataille symboliste ne s’est pas livrée sur son nom. Il y avait trop longtemps que la musique française se bornait à des exercices de pure technique pour qu’on daignât remarquer l’affranchissement que tentait Berlioz. Wagner, plus révolutionnaire, reprenait l’axiome : ab exterioribus ad interiora, ab interioribus ad superiora, du dehors au dedans et du dedans en haut. Il se « plongeait avec une entière confiance dans les profondeurs de l’âme, de ses mystères et, de ce centre intime du monde, il voyait s’épanouir sa forme extérieure [1] ». Car il fallait « créer du nouveau, et encore du nouveau [2] ». Wagner en découvrait aussi bien dans le rôle qu’il assignait à la musique que dans les effets qu’il imposait au mètre comme à la langue. Si le public de 1884 constatait avec surprise que « l’orchestre du symphoniste moderne est mêlé aux motifs de l’action par une participation intime, que non seulement il rend seul possible l’expression précise de la mélodie, mais qu’il en entretient le cours ininterrompu [3] », il puisait dans les audaces métriques et syntaxiques de Wagner le courage de contraindre le français aux mêmes acrobaties que l’allemand. Le vers allemand sous toutes ses

  1. Lettre à Frédéric Villot.
  2. Lettre à Liszt, 8 septembre 1852.
  3. Lettre sur la musique.