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LES MALLARMÉENS


Après lui, Marie Krysinska aurait mérité le titre de « sainte Jeanne-Baptistine de l’école verslibriste ». Tels seraient les véritables initiateurs du vers libre, sans oublier ni Verlaine, ni Rimbaud, ni Laforgue. Gustave Kahn n’aurait fait que codifier et démontrer par une œuvre appréciable ce que beaucoup d’autres avaient avant lui ou indiqué ou modérément réalisé. La vérité est différente.

Il est vrai qu’Aloysius Bertrand et Baudelaire ont l’un et l’autre montré la voie. Mais aucun des auteurs si complaisamment cités dans le Rapport sur le mouvement poétique ne sont à vrai dire des verslibristes. Della Rocca de Vergalo a seulement tenté comme beaucoup d’étrangers de transporter dans notre langue les règles prosodiques et grammaticales de la langue péruvienne. Ce n’est pas un Français qui de propos délibéré a voulu modifier l’alexandrin. C’est un exotique qui, par orgueil patriotique, a cru que le génie français brillerait d’un nouveau lustre s’il parvenait à lui transfuser du sang péruvien. La plupart de ses réformes sont puériles, et elles n’ont pas même le mérite de l’originalité, sauf peut-être en ce qui concerne la strophe nicarine. Les essais de Marie Krysinska sont des fantaisies à l’origine sans prétentions, écrites sur les conseils ironiques de Charles Cros. Ils manifestent avant tout l’indolence féminine en matière d’art, l’antipathie de la femme pour tout travail fini. Ils sont l’expression instinctive et nullement théorique d’une double nonchalance, celle d’une femme et celle d’une Slave. Quant aux autres prédécesseurs de Verlaine, ce sont des artistes du vers qui par moment ont cédé à cette virtuosité métrique à laquelle tant de romantiques et même de parnassiens avaient succombé avant eux, et qui, tout étonnés qu’il y ait eu dans leur amusement le germé d’une théorie aussi féconde, en ont aussitôt réclamé le bénéfice. Sous ce rapport, Verlaine et Rimbaud auraient plus de droit qu’eux à réclamer la paternité du vers libre. Eux du moins savaient ce qu’ils voulaient quand ils composaient des vers « délicieu-