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LE SYMBOLISME

errabunde, latence, manuterge [1], ou il les modèle d’après lui : tumultuer [2]. Il relie le français au latin : vortex-nombril, tout-Ihil [3]. Il fabrique des vocables de toutes pièces, soit à l’aide de particules : engrappé, s’engrandeuiller [4], soit par juxtaposition : histoire-corbillard, ivraie-art [5], soit par procédé de formation pseudo-savante : anomaliflore, se crucifiger, hymniclame, omniversel, ombilliforme, lunologue [6], soit enfin par association de pure fantaisie : c’était un très au vent d’octobre paysage, dans les soirs Feu d’artificeront envers vous mes sens encensoirs, s’in-pan-filtrer, Éternullité [7].

Esthétique, métrique ou style n’ont donc pour Laforgue qu’un principe : la liberté ; l’art est l’expression libre d’une manière d’être éphémère de l’individu. Le vers est un agrégat de sonorités diverses groupées selon l’impression du moment.

Le langage, c’est le cri instinctif, la traduction spontanée de l’idée ou de la sensation. Aussi dédaigneux des règles fixes que la conversation, il est aussi souple, aussi varié qu’elle. Une telle conception pouvait-elle aboutir à des chefs-d’œuvre ? Il est difficile de se prononcer. Laforgue est mort trop jeune pour avoir donné toute sa mesure. Il semble bien pourtant que son art ait comporté une limite de perfection et que le poète ait manqué de temps et de patience pour l’atteindre. Ses poèmes sont plus souvent des ébauches que des pièces achevées et l’anarchie poétique dont il s’était constitué à la fois le théoricien et l’acteur n’est pas sans lui

  1. Poésies comp., 3, 143, 208.
  2. Poésies comp., 170.
  3. Poésies comp., 217.
  4. Poésies comp., 18, 129.
  5. Poésies comp, 134, 147.
  6. Poésies comp., 219, 15, 101, 144, 171.
  7. Poésies comp., 37, 64, 130, 8. Cf. encore sur tous ces points : Revue moderniste, 30 septembre 1885 et Histoire de la littérature française de Petit de Juleville, t. VIII. — Brunot, la Langue française de 1815 à nos jours.