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LES NÉO-CLASSIQUES

tèrent enfin le classique qui sommeillait en lui et brusquement lui firent apercevoir les contradictions dont s’émaillaient ses diverses professions de foi. Moréas acheva de désiller ses yeux. L’école romane lui parut indiquer la bonne voie. Avec beaucoup de courage, Ernest Raynaud brûla ce qu’il avait adoré : « Les décadents, avoue-t-il, avaient pris aux romantiques le sens exagéré de la couleur ; ils en étaient tombés au japonisme, au tachisme, à l’audition colorée. Les symbolistes avaient hérité du goût des romantiques pour le macabre et le nébuleux. Ils pataugeaient dans une incohérence barbare qui voulait être du rêve. Conduits par un abus de basses analogies qu’ils décoraient du nom pompeux de symbolisme, ils en étaient venus à traduire en un patois grossier des hallucinations alcooliques ou artificielles que Baudelaire avait du moins promues à la solennité du style académique[1]. » Le remède, c’était le romanisme. Ernest Raynaud s’en fit le panégyriste avec le même enthousiasme qu’il s’était constitué jadis le champion du décadisme. Il y avait à cette brusque conversion un double motif : d’abord la satisfaction du classique qui trouvait moyen, en reprenant la tradition plus haut que le xviie siècle, de flatter ses goûts de clarté sans être contraint de plier sous la règle de Malherbe ou de Boileau ; ensuite, parce que les procédés les plus chers à l’école romane séduisaient de façon singulière le talent du poète. L’école romane mettait sa gloire au pastiche. Ernest Raynaud était né pasticheur. Avant de devenir l’une des étoiles de la nouvelle pléiade, il s’était fait un nom parmi les mystificateurs littéraires. Il avait, pour les plus grandes délices de la presse parisienne, risqué quelques sonnets sous le pseudonyme de général Boulanger, composé en compagnie de Laurent Tailhade les œuvres apocryphes de Rimbaud, et publié certains articles signés Sarcey sur la paternité desquels le grand cri-

  1. À propos du Premier livre pastoral. Mercure de France, novembre 1892.