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LE SYMBOLISME

vers conserve le privilège d’une harmonie musicale. Et si l’harmonie du vers ne doit pas différer de l’harmonie de la prose, à quoi bon le vers et la prose ? Si l’on maintient la distinction des genres, il faut être logique, reconnaître que le vers est le résultat d’une habitude lentement formée par les siècles, que la métrique numérique repose sur les principes rythmiques les plus compréhensibles à la masse, qu’y vouloir substituer des habitudes nouvelles ou une musique plus savante que populaire, c’est ravir à la poésie ce par quoi elle est le plus universel, la mélodie facile qui fixe l’image, la sensation ou l’idée. L’erreur du verslibrisme a été de croire que la métrique basée sur la rime était l’œuvre d’un virtuose expert en acrobaties harmoniques. Or, la rime a été rendue nécessaire par la faiblesse même de l’accent tonique. Elle fait partout son apparition avec la décadence de l’idiome. La rime surgit dans le latin avec le Dies Iræ, c’est-à-dire à une époque de basse latinité. Quoi d’étonnant que le français, latin fortement affaibli, ait conservé ce moyen d’accentuation dans le genre où le rythme devait être obligatoirement sensible ! Les autres licences du verslibrisme procèdent d’une observation non moins hâtive. Il autorise le hiatus ; mais pourquoi les meilleurs écrivains, même dans leurs ouvrages en prose, s’efforcent-ils d’éviter ce heurt inopiné de syllabes partout où l’usage n’a pas endormi les susceptibilités de l’oreille, s’il n’y a pas là un élément contraire à la force persuasive du rythme ? Il nie dans certains vocables l’importance de l’e muet ; mais il a contre lui les règles de la prosodie musicale qui, loin de considérer les muettes comme des quantités négligeables, en fait souvent le temps fort de la mesure. Il absout les vers myriapodes sans remarquer que le rejet suffit à transformer l’alexandrin classique en vers de quarante pieds et plus, si telle est la fantaisie du poète. D’ailleurs les verslibristes n’ont-ils pas pour la plupart aujourd’hui fait justice de ces réformes plus typographiques que prosodiques. Le vers pour être vers doit jouir d’une cadence