Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/43

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pressentant leurs relations, le poète agrandit la réalité de l’être ou de l’objet. Il en suggère la forme visible et les motifs invisibles. Pour une telle œuvre la raison est insuffisante. Elle n’atteint pas le mystère. L’homme doit faire appel à d’autres agents de recherches. Il met en œuvre ses facultés d’évocation, le don prophétique, l’imagination, le rêve et le sentiment, d’un mot le délire poétique par où l’âme ne connaît pas, mais pressent l’inconnaissable.

2. Cette méthode a eu ses praticiens dans la littérature française. Les symbolistes pouvaient assez loin se chercher des aïeux et des exemples. Bien avant les écrivains du xixe siècle, les disciples indirects de Marot, poètes mystiques ou subtils de l’école lyonnaise, avaient tenté d’idéaliser la poésie française, qui par trop de réalisme s’était perdue dans les acrobaties littéraires des grands rhétoriqueurs. Cette réaction aussi nette que celle des symbolistes, mais sans but aussi précis, s’était traduite par une conception moins brutale de l’amour et un respect moins superficiel de la femme. Jusqu’à Marot en effet, et sur le conseil même de l’Église, la femme est regardée « comme un mal occasionné ». C’est le mot de saint Augustin à satiété répété au moyen âge. Érasme la traite d’animal inepte et ridicule. Rabelais lâche contre elle sa verve gauloise et André Misogyne résume ainsi le pessimisme de l’époque :


Femme, plaisir de demye heure,
Et ennui qui sans fin demeure.


En raison de ce mépris, l’amour est envisagé comme une nécessité physique, d’ordre purement matériel, un jeu des sens plutôt dégradant d’où le mystère est exclu. Sans doute, les cours d’amour avaient travaillé à déifier l’amour et la femme. Mais elles avaient ajouté plus de subtilité à la forme qu’au fond. L’amour était resté un amusement brutal dont on voilait les péripéties. Il avait fallu la divulgation