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LES PRÉCURSEURS DU SYMBOLISME

Méditations poétiques, dont le titre à cette époque est déjà significatif, à la Chute d’un Ange, l’idéalisme de Lamartine s’élève du pur sentiment au lyrisme philosophique, mais sans que le poète sorte jamais du vague où il s’enferme et qui constitue sa plus grande originalité. Les Premières Méditations sont sur ce point d’un témoignage décisif. Lamartine ne s’y révèle exactement ni peintre, ni penseur. Aucun paysage nettement dessiné, aucun fait précis. De la brume, de l’indécision avec un brin de mélancolie et de vague espérance. On ne distingue rien dans ces méditations. Derrière le brouillard des êtres et des choses, on entend une âme qui chante et le cœur vibre à l’unisson. La même impression se dégage de Jocelyn et de la Chute d’un Ange. Dans ce dernier poème, il a posé la question la plus imprécise qui soit en philosophie, celle de la destinée humaine. Il ne la résoud pas. Il la noie dans un déluge d’optimisme que couronne la foi chrétienne. Là encore cet optimisme est sans consistance : il n’est pas plus catégorique que les paysages ne sont arrêtés.

Un spiritualisme incohérent [1], un christianisme diffus, pas d’idées, mais des soupirs, des cantiques d’espérance ou d’amour. De cet amalgame jaillit une étrange force de persuasion, un indéfinissable accent de vérité qui vous prend aux nerfs en dépit de toute raison. Car Lamartine est un musicien. C’est par la musique des mots qu’il communique avec son lecteur. Il monte son âme au diapason de la sienne, il les accorde, et tous deux, le poète et le lecteur, se comprennent grâce à un commun frémissement des fibres intimes, des liens obscurs qui rattachent entre eux les enfants de l’humanité. La poésie de Lamartine est immatérielle ; elle ne traduit pas, elle évoque. Elle ne s’analyse pas, elle se sent. Le poète atteint à cette imprécision éloquente par son indifférence même du métier, Lamartine n’a jamais voulu se donner la peine d’avoir du talent ; il a en horreur le travail de la lime, L’effet qu’il veut produire, il le réalise en partie par

  1. La Mort de Socrate.